Hommage à Gérard Ferro, fils du gardien du barrage de Malpasset, disparu ce 24 mars : une histoire hors du commun…

Publié le 29 mars 2021

Ferro : un nom et une famille bien connus à Fréjus. À jamais associés à la catastrophe du barrage de Malpasset, puisqu’André en était le gardien jusqu’à cette date tragique du 2 décembre 1959. Et Gérard, son fils, 3 ans à l’époque – il est né le 12 juillet 1956 -, devenant un entrepreneur reconnu dans le petit monde fréjusien et varois du BTP, et même au-delà.

Et si le nom de Ferro revient ce jour à la Une de l’actualité locale, c’est parce ue Gérard Ferro, l’un des survivants de ce qui demeure la plus grande catastrophe civile survenue en France est décédé ce 24 mars 2021, à l’âge de 64 ans.

Gérard Ferro était devenu un entrepreneur innovant. Sa société, leader français du recyclage de déchets du BTP, était située à quelques kilomètres du barrage dans la vallée du Reyran. Devenue Var Matériaux, elle a été vendue en février 2020 à Eurovia, filiale de Vinci (photo © Var-Matin)

« Jusqu’à la fin, le fils du gardien du barrage »

« C’est un moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, narrait Gérard Ferro dans un reportage consacré par France 3 Paca à la catastrophe voici deux ans (…) Je souffre à titre personnel parce que, jusqu’au derniers instants de ma vie, je serai le fils du gardien, avec ce devoir de mémoire, avec ces images, avec ces interviews au côté, ou sous le barrage plutôt, puisque je professe mon métier au pied du barrage, à 2 km en aval. Je n’ai jamais pu me détacher réellement de cette vallée qui a fait tant souffrir, nous, et tous les Fréjusiens. »

Avant même d’y installer (comme il le dit dans l’interview précédente) sa société “Estérel Terrassement Environnement“, entreprise leader français du recyclage de déchets du BTP – « 98 % de ces déchets du BTP, matériaux inertes, sont recyclés, à partir desquels je réalise un béton de grande qualité », soulignait l’entrepreneur innovant, très engagé « dans le recyclage et l’économie circulaire autour du BTP » -, son histoire et son destin sont à jamais liés à Malpasset.

Sa grand-mère se jette dans les eaux du barrage maudit

La mère d’André Ferro, grand-mère de Gérard, vieille paysanne italienne, sera présentée comme la “première victime du barrage“.

André Ferro travaillait à la mine et habitait une petite ferme avec sa mère. Une maisonnette située au milieu du lac du futur barrage. « On va construire un barrage, la ferme sera noyée. Mais vous aurez une autre maison et le fils sera le gardien du barrage », vint-on leur annoncer un jour. Une expropriation pure et simple, qui ne prêtait pas à discussion…

Avec ses parents, avant la catastrophe (image extraite du livre de Jean-Paul Vieu, “Souvenons-nous…“)

Mais si André Ferro ira habiter la nouvelle maison avec sa femme et son bébé, sa mère refusa de les suivre et resta dans sa ferme. Quand les eaux commencèrent à monter, elle était encore là, avait seulement gravi la colline, regardant sa maison disparaître.

Lorsque la ferme fut à moitié noyée, on entendit un cri : la vieille venait de plonger dans les eaux du barrage maudit.

Puis survînt la catastrophe quelques années plus tard.

Le n°557 de “Paris-Match“ qui consacre sa couverture et de nombreuses pages intérieures à la plus grande catastrophe civile jamais survenue en France, avec des images d’André Ferro, gardien du barrage

Tirs de mine pour la construction du pont autoroutier

Dès le 1er décembre 1959, après 48 heures d’un véritable “coup de chavano“ – ces pluies automnales qui avaient rapidement entraîné une élévation des eaux sans pour autant que ne s’en inquiètent les techniciens en charge de la surveillance du barrage -, André Ferro, effectivement devenu gardien de la structure – empêchant notamment les touristes de s’approcher du barrage à cause du danger d’éboulis, car la construction était notamment fragilisée par les tirs de mines dans le cadre de la réalisation de la future autoroute toute proche -, s’était seul alerté de voir le barrage se remplir. Et la hauteur d’eau atteindre la cote limite 95.

André Ferro fuit, son fils Gérard sous le bras

Le matin du 2 décembre, la cote 98 sera atteinte et André Ferro alertera immédiatement la Préfecture. Mais la décision de n’ouvrir la vanne papillon du barrage ne sera prise qu’à 18h.

Trois jours plus tard, il déclara devant la commission d’enquête : « À 18h05, les vannes étaient ouvertes, tout était normal (…) Peu avant 21h, j’ai quitté le poste de contrôle et suis allé faire une ronde au bas du barrage. Il n’y avait pas la moindre fissure, pas le moindre suintement, pas le moindre craquement… » (déclarations d’André Ferro le 5 décembre devant la commission d’enquête, Ndlr).

Il redescendra alors chez lui et inscrira R.A.S. sur son carnet de surveillance.

Images extraites du livre de Michel Eisenlhor, “Sur les traces de Malpasset“, témoignages de la vie d’avant chez les Ferro

Quelques minutes plus tard, à 21h13, il sentira le sol vibrer sous ses pieds, couplé à un craquement sinistre, une véritable déflagration, « comme une sorte de grognement d’animal », témoignera-t-il. Comprenant immédiatement la situation, André Ferro n’eut que le temps de saisir son fils, Gérard, déjà couché, et de s’élancer vers le haut de la colline suivi de sa femme, d’où il verra tous ses biens emportés.

Le corps du grand-père retrouvé… à Hyères

Un autre membre de la famille, le propre père de la mère de Gérard Ferro, disparaîtra dans les flots du Reyran déchaîné. L’on retrouvera son corps sur une plage… de Hyères 19 jours plus tard…

Pour Gérard Ferro ne subsistent que des bribes de souvenirs. Des visions comme celle où, à travers les barreaux de son parc, il voit les chiens de chasse de son père monter la garde auprès de lui, comme cet autre jour où il pédale sur un tricycle autour d’un mûrier.
Et cette image qui suivit le jour fatidique, où « mon père essaie de rallumer le bois mouillé dans la gazinière de notre maison dévastée en attendant les secours… », avant que le récit ne soit interrompu par les sanglots.

“Mon père m’a expliqué beaucoup de choses”, dira Gérard Ferro. A-t-il emporté des secrets sur les véritables causes de la rupture du barrage ?

« Mon père m’a expliqué beaucoup de choses »

Avec sa disparition, c’était également un pan de l’histoire du barrage qui s’en va. « Je sais beaucoup de choses que m’a expliquées mon père, les causes profondes de la catastrophe », assurait encore Gérard Ferro lorsqu’un temps fut évoqué un possible rôle, en plein conflit algérien, du FLN qui aurait commandité un attentat sur le site de Malpasset.

Quand bien même il deviendra cet entrepreneur que l’on connaissait tous, il pleurera longtemps les vies perdues, mais aussi la vie perdue de sa famille qui, si le barrage n’avait pas cédé, avait l’intention d’ouvrir une guinguette à pêcheurs au bord d’eaux peuplées de poissons et de brochets entre autres.

« Cette existence m’aurait plus (…) Je suis né dans cette vallée, c’est le site de mes racines. Là où mes parents ont passé les plus belles années de leur vie (…) Comment passer à autre chose ? À jamais, jusqu’à mon dernier jour, je serai le fils du gardien du barrage de Malpasset… »

Nouvelle signalétique sur site

Le fils du gardien du barrage qui, avant justement de quitter ce monde, Gérard Ferro aura néanmoins eu la satisfaction de voir installée la nouvelle signalétique initiée sur site – bornes et panneaux explicatifs disséminés au fil de la piste d’Ambon qui mène aux ruines du barrage par la Ville de Fréjus prendre forme. C’était à l’automne dernier. Pour mieux rappeler et mieux expliquer ce lieu de mémoire aux touristes…

Retrouvez ici l’interview de France 3 réalisée en 2019

La Ville de Fréjus présente ses sincères condoléances à la famille de Gérard Ferro et ses proches.

Ses obsèques seront célébrées le jeudi 1er avril à 10h, en la cathédrale Saint-Léonce de Fréjus.

CATASTROPHE DE MALPASSET

  • 423 morts,
  • 27 corps non identifiés,
  • 135 enfants de moins de 15 ans (15 adolescents de 15 à 21 ans),
  • 134 adultes hommes, 112 adultes femmes,
  • 79 orphelins,
  • 951 immeubles touchés (155 entièrement détruits),
  • 1350 ha de terres agricoles sinistrées (dont 1030 ha totalement détruits).

Fréjus comptait alors 13.500 habitants.